Dimanche 17 mai 2009 à 0:19

     L'aube est glacée. Mon portable sonne. J'ai un message. Que peut bien me vouloir Gabrielle à cette heure-ci? Une angoisse sourde m'étreint la gorge. Mes doigts engourdis par le froid ne parviennent pas à appuyer sur cette putain de touche. Le message défile enfin. Une phrase. Une seule. Je la lis. Je la relis. J'ai trop pleuré, je ne peux plus.
     Je m'effondre. Place Vendôme à sept heures du matin. Une fille à genoux qui mord sa main ensanglantée. Et qui hurle. Qui hurle une plainte incohérente. Comme si le désespoir avait pris forme. La forme d'un cri. Je crie la fin d'un rêve, je crie la fin du monde.Je crie la fin de l'homme que j'aime et qui s'est planté comme un con, en sortant de boîte, dans sa caisse à cinq cent mille balles qui n'a même pas été foutue de le préserver. Mort sur le coup. Mort. Je crie l'atroce réalité de cette vie de merde qui donne, et qui reprend. Je crie ce qu'on a vécu, ce qu'on aurait pu vivre encore. Je crie ce qu'il est. Etait. Ce qu'il aurait pu devenir. Je crie ma détresses, ma douleur, mon amour, mon amour, mon amour... [...]

     L'homme que j'aimais est mort il y a trois mois.
     Tant bien que mal, avant j'aimais la vie, parce qu'on l'avait en commun.
     Avant, j'aimais la vie, même sachant tout ce que je savais, car dans l'immensité du vide il était là qui souriait.
     Aujourd'hui, je chéris un fantôme, un souvenir. Je pense encore à lui chaque jour, chaque minute, chaque seconde... Absurde constance. J'ai beau vivre, si on peut appeler ça vivre, j'ai beau baiser, et sortir... Je pense encore à lui.
     Je regarde les gens, leurs pas qui les emportent vers une finalité absente... Et au fond de moi-même, son image qui me hante.
     Je le connaissais mieux que personne. On avait le même état d'esprit, on méprisait la platitude et la médiocrité, on était prisonniers du fric et ça nous rendait dingues, et on ne savait pas pourquoi on existait.
     Maintenant qu'il n'est plus là, je sais pourquoi j'existais.
     J'existais pour lui.
     Je suis faible, et j'ai l'impression que mon corps se meurt lentement. Seul mon esprit plein de souvenirs est encore vivace.Je préfère ressasser le bienheureux passé que de me contenter de ce présent de merde.
     Je n'oublierai pas ton visage, je n'oublierai jamais ta voix.
     Je me morfonds dans ma douleur.
     Pauvre con, tu ne pouvais pas rouler moins vite.

     Je suis dans ma salle de bain et je peins sur mon visage les couleurs de la vie. Je manipule mécaniquement mon mascara Chanel et ma poudre Guerlain. Je me prépare, ce soir je sors, comme hier et comme demain. Au Cabaret, au Queen, aux Bains, au rendez-vous des névrosés. Je n'y ai que des amis, entre tarés, on se comprend. [...]

     - T'as sept minutes. Fais pas cette gueule. Tu écoutes le plus bel opéra du monde. La Traviata, ça te dit quelque chose? Verdi? Non? Inspiré de La Dame aux camélias. Tu veux que je te raconte l'histoire? T'auras appris quelque chose, tu te sentiras moins con en t'endormant tout à l'heure.
     Il ne répond pas.
     - C'est très simple. Alfredo aime Violetta. Violetta aime Alfredo. C'est l'amour, la passion, le truc de ouf. Mais Violetta est courtisane. Ca veut dire pute de luxe. Violetta est pute de luxe et elle sait pertinemment qu'Alfredo n'a pas les moyens de l'entretenir. Et comme elle ne veut pas le ruiner, elle tente de sortir de sa vie. Grosse engueulade, on se réconcillie dans les larmes et on décide de ne plus se quitter. Seulement c'est au tour du père d'Alfredo de foutre la merde. Il demande à Violetta de foutre la paixà son fils parce que leur commerce coupable entache la bonne réputation de la famille. Violetta, décidément prête à tous les sacrifices, met tout en oeuvre pour détacher d'elle son amoureux transi. Et elle y réussit si bien que celui-ci, véner comme pas deux, lui fait tant de misères qu'elle finit par en crever. De ça, et de la tuberculose aussi. Parce qu'elle est tuberculeurse, comme toute bonne héroïne romantique. Voilà. Une belle histoire d'amour. Brisée par la mort. C'est triste, hein?
     - Oui, c'est triste.
     - La suite, on la connaît pas. On sait pas ce que deviens Alfredo, après. On sait pas s'il réussit à oublier Violetta. Comment il fait pour supporter la vie alors que celle qu'il aime est morte. Si ça se trouve, vingt ans plus tard, Alfredo est marié et modeste père de famille, sa vue baisse, une légère calvitie s'annonce et quand le nom de Violetta émerge de la nébuleuse embrouillée de ses souvenirs, il l'associe à l'une de ses frasques de jeunesse, dûment expiée depuis et il ne sait même plus si son ex-Dulcinée est morte ou simplement partie. Si ça se trouve Alfredo est fou? Si ça se trouve, Alfredo est mort de chagrin?
     "Mais non. Moi je la connais la suite. Alfredo va au Queen tous les soirs. Il noie sa douleur dans la vodka. Il boit comme un trou et finit tous les soirs à quatre pattes. Et il pense à celle qu'il a perdue.
     "Alfredo a découvert la coke et il s'en met plein le nez vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Et il pense à celle qu'il a perdue. Alfredo ne sait plus pleurer. Parce que pleurer ça soulage, et qu'il ne veut pas être soulagé. Violetta est perdue pour toujours et Alfredo se venge sur d'autres pétasses, sur des connes sans intérêt de la mort de celle qu'il aimait. Il les baise, il les pervertit et il les fait souffrir. Il aimerait bien les tuer, mais il n'en a pas le courage. Il aimerait bien se tuer surtout, se foutre en l'air. Puisqu'il n'a plus aucune raison de vivre. Mais il n'en a pas le courage non plus. Il est lâche, c'est un misérable lâche. Il n'est pas capable de quitter cette existence abominable, il préfère la vivre le plus mal possible. Alfredo est alcoolique, drogué et suicidaire. Oh, il ne faut pas s'en faire pour lui. Il ne tardera pas à crever lui aussi. D'une overdose, d'un accident de voiture, d'un coup de couteau dans une ruelle, d'une maladie incurable... Il retrouvera le sourire juste pour dire adieu. Maintenant, casse-toi, ton taxi doit être en bas.
 
Dans un veine déprimante: Hell.

Mercredi 16 juillet 2008 à 23:01


                             ERIPHILE

Que dirais-tu, Doris, si, passant tout le reste,
Cet hymen de mes maux était le plus funeste?

                             DORIS
Quoi, Madame?

                             ERIPHILE
                             Tu vois avec étonnement
Que ma douleur ne souffre aucun soulagement.
Ecoute, et tu te vas étonner que je vive.
C'est peu d'être étrangère, inconnue et captive:
Ce destructeur fatal des tristes Lesbiens,
Cet Achille, l'auteur de tes maux et des miens,
Dont la sanglante main m'enleva prisonnière,
Qui m'arracha d'un coup ma naissance et ton père,
De qui, jusques au nom, tout doit m'être odieux,
Est de tous les mortels le plus cher à mes yeux.

                             DORIS
Ah! que me dites-vous?

                             ERIPHILE
                                           Je me flattais sans cesse
Qu'un silence éternel cacherait ma faiblesse.
Mais mon cœur trop pressé m'arrache ce discours,
Et te parle une fois pour se taire toujours.
Ne me demande point sur quel espoir fondée
De ce fatal amour je me vis possédée.
Je n'en accuse point quelques feintes douleurs
Dont je crus voir Achille honorer mes malheurs.
Le ciel s'est fait, sans doute, une joie inhumaine
A rassembler sur moi tous les traits de sa haine.
Rappellerai-je encor le souvenir affreux
Du jour qui dans les fers nous jeta toutes deux?
Dans les cruelles mains par qui je fus ravie
Je demeurai longtemps sans lumière et sans vie.
Enfin mes tristes yeux cherchèrent la clarté;
Et, me voyant presser d'un bras ensanglanté,
Je frémissais, Doris, et d'un vainqueur sauvage
Craignais de rencontrer l'effroyable visage.
J'entrai dans son vaisseau, détestant sa fureur,
Et toujours détournant ma vue avec horreur.
Je le vis: son aspect n'avait rien de farouche;
Je sentis le reproche expirer dans ma bouche;
Je sentis contre moi mon cœur se déclarer;
J'oubliai ma colère, et ne sus que pleurer.
Je me laissai conduire à cet aimable guide.
Je l'aimais à Lesbos, et je l'aime en Aulide.
Iphigénie en vain s'offre à me protéger
Et me tend une main prompte à me soulager:
Triste effet des fureurs dont je suis tourmentée!
Je n'accepte la main qu'elle m'a présentée
Que pour m'armer contre elle, et sans me découvrir,
Traverser son bonheur que je ne puis souffrir.

[ Racine, Iphigénie, II, 1 ]

Vendredi 4 juillet 2008 à 17:43

" 'Listen, I admit he's an unusual kid but he's really doing OK' Jim told him.
   'Well, c'mon, Jim, that's not altogether true either,' I said, trying not to appear ungrateful for his support. 'Rock 'n' roll isn't just a hobby,' I tried to explain to Dad. 'It's so much more than that... it's more like it's the only thing that means anything to me,' I tried to explain. 'I can't help it. I just don't care about anything else.'
   To which Dad gave me one of his 'you're-absolutely-nuts' looks.
   'And you believe this kid?' Dad asked Jim, who was the wrong person to ask that question.
   Jim looked at him with total innoncence. 'I know exactly what he means.'
   Dad just glared at both of us. 'You know, when you die you don't go to the Great Rock Concert in the sky.'
   I said nothing to that.
   Jim ordered a double Singapore Sling and asked me why I wasn't drinking.
   Dad said, 'So you're drinking now? Big man.'
   Before I could think of an answer Dad asked Jim if he always drank this much and Jim answered, 'No. Sometimes I drink more.' So Dad told me right in front of Jim, that my hero was a drunk. Jim responded by asking my father what he did to unwind. Dad told him he enjoyed sports, healthy interests.
   'Ever go to Vegas?' Jim asked. I thought he might be starting to try again, but I thought wrong.
   'Yes,' my father told him. 'So?'
   'You like cards?' Jim asked.
   'Craps?'
   'Sure, what of it?'
   Jim turned and said, 'Great role models, kid, ya really know how to pick 'em; a gambler and a drunk.' "

Samedi 31 mai 2008 à 21:31

Wonderland Avenue
Tales of Glamour and Excess <3

"I already knew I was sick. I'd felt lousy for weeks. No doubt the result of living the good life non-stop and too well, or not well enough, it was getting hard to tell the difference. Too much alcohol to celebrate and too many endless parties - piles of cocaine to go up and stay up, followed by downers to come down or crash, the whole crazy while zig-zagging through the canyons of the Hollywood Hills in the Cobra at suicide speeds in no condition to drive. A thousand nightclub booths and backstage passes blurred with too litlle sleep and too much fucking (around) had all combined to thoroughly exhaust me. Plus lately, I'd begun shooting up absurd quantities of drugs, anything dissolvable, injectable and intoxicating. Too much of too much too often. Nothing was not permitted. The summary phrase probably being 'life in the fast lane...' What a fucking joke. Everyone knows there are no lanes in a demolition derby."

J'espère bien que la suite sera aussi bien.

Samedi 3 mai 2008 à 0:31

    Au terme d'un long voyage, je revois toujours ce corridor, cette taupe, cette ombre chaude à qui l'écume de mer prescrit des courants d'air purs comme de tout petits enfants, je revois toujours la chambre où je venais rompre avec toi le pain de nos désirs, je revois toujours ta pâleur dévêtue qui, le matin, fait corps avec les étoiles qui disparaissent. Je sais que je vais encore fermer les yeux pour retrouver les couleurs et les formes conventionnelles qui me permettent de t'aborder. Quand je les rouvrirai, ce sera pour chercher dans un coin de la pièce l'ombrelle corruptible à manche de pioche qui me fait redouter le beau temps, le soleil, la vie, car je t'aime plus au grand jour, car je regrette le temps où j'étais parti à ta découverte et le temps aussi où j'étais aveugle et muet devant l'univers incompréhensible et le système d'entente incohérent que tu me proposais.
    N'as-tu pas suffisamment porté la responsabilité de cette candeur qui m'obligeait à toujours retourner tes volontés contre toi ?
    Que ne m'as-tu donné à penser ! Maintenant, je ne viens plus te voir que pour être plus sûr du grand mystère que constitue encore l'absurde durée de ma vie, l'absurde durée d'une nuit.
    Quand j'arrive, toutes les barques s'en vont, l'orage recule devant elles. Une ondée délivre les fleurs obscures, leur éclat recommence et frappe de nouveau les murs de laine. Je sais, tu n'es jamais sûre de rien, mais l'idée du mensonge, mais l'idée d'une erreur sont tellement au-dessus de nos forces. Il y a si longtemps que la porte têtue n'avait pas cédé, si longtemps que la monotonie de l'espoir nourrissait l'ennui, si longtemps que tes sourires étaient des larmes.
    Nous avons refusé de laisser entrer les spectateurs, car il n'y a pas de spectacle. Souviens-toi, pour la solitude, la scène vide, sans décors, sans acteurs, sans musiciens. L'on dit : le théâtre du monde, la scène mondiale et, nous deux, nous ne savons plus ce que c'est. Nous deux, j'insiste sur ces mots, car aux étapes de ces longs voyages que nous faisions séparément, je le sais maintenant, nous étions vraiment ensemble, nous étions vraiment, nous étions, nous. Ni toi, ni moi ne savions ajouter le temps qui nous avait séparés à ce temps pendant lequel nous étions réunis, ni toi, ni moi ne savions l'en soustraire.
    Une ombre chacun, mais dans l'ombre nous l'oublions.



    La lumière m'a pourtant donné de belles images des négatifs de nos rencontres. Je t'ai identifiée à des êtres dont seule la variété justifiait le nom, toujours le même, le tien, dont je voulais les nommer, des êtres que je transformais comme je te transformais, en pleine lumière, comme on transforme l'eau d'une source en la prenant dans un verre, comme on transforme sa main en la mettant dans une autre. La neige même, qui fut derrière nous l'écran douloureux sur lequel les cristaux des serments fondaient, la neige même était masquée. Dans les cavernes terrestres, des plantes cristallisées cherchaient les décolletés de la sortie.
    Ténèbres abyssales toutes tendues vers une confusion éblouissante, je ne m'apercevais pas que ton nom devenait illusoire, qu'il n'était plus que sur ma bouche et que, peu à peu, le visage des tentations apparaissait réel, entier, seul.
    C'est alors que je me retournais vers toi.



    Réunis, chaque fois à jamais réunis, ta voix comble tes yeux comme l'écho comble le ciel du soir. Je descends vers les rivages de ton apparence. Que dis-tu? Que tu n'as jamais cru être seule, que tu n'as pas rêvé depuis que je t'ai vue, que tu es comme une pierre que l'on casse pour avoir deux pierres plus belles que leur mère morte, que tu étais la femme d'hier et que tu es la femme d'aujourd'hui, qu'il n'y a pas à te consoler puisque tu t'es divisée pour être intacte à l'heure qu'il est.
    Toute nue, toute nue, tes seins sont plus fragiles que le parfum de l'herbe gelée et ils supportent tes épaules. Toute nue. Tu enlèves ta robe avec la plus grande simplicité. Et tu fermes les yeux et c'est la chute d'une ombre sur un corps, la chute de l'ombre tout entière sur les dernières flammes.
    Les gerbes des saisons s'écroulent, tu montres le fond de ton cœur. C'est la lumière de la vie qui profite des flammes qui s'abaissent, c'est une oasis qui profite du désert, que le désert féconde, que la désolation, nourrit. La douceur délicate et creuse se substitue aux foyers tournoyants qui te mettaient en tête de me désirer. Au-dessus de toi, ta chevelure glisse dans l'abîme qui justifie notre éloignement.



    Que ne puis-je encore, comme au temps de ma jeunesse, me déclarer ton disciple, que ne puis-je encore convenir avec toi que le couteau et ce qu'il coupe sont bien accordés. Le piano et le silence, l'horizon et l'étendue.
    Par ta force et par ta faiblesse, tu croyais pouvoir concilier les désaccords de la présence et les harmonies de l'absence, une union maladroite, naïve, et la science des privations. Mais, plus bas que tout, il y avait l'ennui. Que veux-tu que cet aigle aux yeux crevés retienne de nos nostalgies?
    Dans les rues, dans les campagnes, cent femmes sont dispersées par toi, tu déchires la ressemblance qui les lie, cent femmes sont réunies par toi et tu ne peux leur donner de nouveaux traits communs et elles ont cent visages, cent visages qui tiennent ta beauté en échec.



    Et dans l'unité d'un temps partagé, il y eut soudain tel jour de telle année que je ne pus accepter. Tous les autres jours, toutes les autres nuits, mais ce jour-là j'ai trop souffert. La vie, l'amour avaient perdu leur point de fixation. Rassure-toi, ce n'est pas au profit de quoi que ce soit de durable que j'ai désespéré de notre entente. Je n'ai pas imaginé une autre vie, devant d'autres bras, dans d'autres bras. Je n'ai pas pensé que je cesserais un jour de t'être fidèle, puisqu'à tout jamais j'avais compris ta pensée et la pensée que tu existes, que tu ne cesses d'exister qu'avec moi.
    J'ai dit à des femmes que je n'aimais pas que leur existence dépendaient de la tienne.
    Et la vie, pourtant, s'en prenait à notre amour. La vie sans cesse à la recherche d'un nouvel amour, pour effacer l'amour ancien, l'amour dangereux, la vie voulait changer d'amour.
    Principes de la fidélité... Car les principes ne dépendent pas toujours de règles sèchement inscrites sur le bois blanc des ancêtres, mais de charmes bien vivants, de regards, d'attitudes, de paroles et des signes de la jeunesse, de la pureté, de la passion. Rien de tout cela ne s'efface.



    Je m'obstine à mêler des fictions aux redoutables réalités. Maisons inhabitées, je vous ai peuplées de femmes exceptionnelles, ni grasses, ni maigres, ni blondes, ni brunes, ni folles, ni sages, peu importe, de femmes plus séduisantes que possible, par un détail. Objets inutiles, même la sottise qui procéda à votre fabrication me fut une source d'enchantements. Êtres indifférents, je vous ai souvent écoutés, comme on écoute le bruit des vagues et le bruit des machines d'un bateau, en attendant délicieusement le mal de mer. J'ai pris l'habitude des images les plus inhabituelles. Je les ai vues où elles n'étaient pas. Je les ai mécanisées comme mes levers et mes couchers. Les places, comme des bulles de savon, ont été soumises au gonflement de mes joues, les rues à mes pieds l'un devant l'autre et l'autre passe devant l'un, devant deux et fait le total, les femmes ne se déplaçaient plus que couchées, leur corsage ouvert représentant le soleil. La raison, la tête haute, son carcan d'indifférence, lanterne à tête de fourmi, la raison, pauvre mât de fortune pour un homme affolé, le mât de fortune du bateau... voir plus haut.
    Pour me trouver des raisons de vivre, j'ai tenté de détruire mes raisons de t'aimer. Pour me trouver des raisons de t'aimer, j'ai mal vécu.



    Au terme d'un long voyage, peut-être n'irai-je plus vers cette porte que nous connaissons tous deux si bien, je n'entrerai peut-être plus dans cette chambre où le désespoir et le désir d'en finir avec le désespoir m'ont tant de fois attiré. A force d'être un homme incapable de surmonter son ignorance de lui-même et du destin, je prendrai peut-être parti pour des êtres différents de celui que j'avais inventé.
    A quoi leur servirai-je?


"Nuits partagées", La Vie immédiate, Paul Éluard.

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